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Nous espérons que vous serez autant ravis de lire cette interview que nous l’avons été en la réalisant 😉

 
1. A quel âge avez-vous commencé le chant et la musique?

Je me suis mis à écrire des chansons et à les chanter vers l’âge de 16 ans. Mais que les choses soient claires entre nous, je ne fais pas de musique, et quant au chant… c’est beaucoup dire. Je fais des chansons pas de la musique, et je chantonne. Je pense que ce sera mieux dit comme ça…


2. Vous avez toujours voulu faire une carrière artistique ou vous aviez envie de faire autre chose?

 

J’ai toujours pensé que j’étais fait pour faire une profession artistique. J’ai longtemps hésité entre comédie et chanson. J’ai fini par me fixer sur la chanson, mais ça n’a pas été simple, et ça ne l’est toujours pas…


3. Vous avez perdu votre père alors que vous n’aviez que 2 ans. Si ça n’avait pas été le cas, pensez-vous que vous auriez eu le même parcours? Votre famille était-elle dans le milieu artistique?

 

Personne dans ma famille ne pratiquait une profession artistique, néanmoins, mon père à fait une congestion cérébrale (rupture d’anévrisme) tandis qu’il chantait sur scène. Son père, mon grand-père était forgeron ferronnier d’art. Il participa entre autre à la réalisation des ferronneries du bateau Le Normandie. Il y avait donc sans doute dans ma famille une fibre artistique. Mon frère à longtemps fait du music hall avant de se consacrer au théâtre et au doublage vocal de film.

 
4. En 1962, vous faites une rencontre importante, Georges Brassens. Qu’est ce que cette rencontre a alors changé pour vous?

 

Je suis allé voir Brassens dans sa loge à Bobino en 62 pour lui montrer les chansons que j’avais composées. J’avais besoin de l’avis d’un professionnel pour savoir où j’en étais. Il a eu la gentillesse de m’écouter et de m’engager à poursuivre dans cette voie. Je lui dois énormément. Il se pourrait que je sois resté dans les assurances sans son avis.


5. Dans les années 60, faire de la musique était-ce plus facile qu’à notre époque?

 

Il n’a jamais été facile de faire de la musique, mais comme je l’ai précisé plus haut, je ne fais pas de musique. Je fais de la chanson. Bach, Duke Elington, Django Reinarth faisaient de la musique. La différence entre la musique et la chanson est simple. La musique se passe aisément des mots : pas la chanson.

N’ayant pas le talent de Mozart, ni celui de Victor Hugo, je me suis rabattu sur un moyen terme qui n’est ni de la musique ni de la poésie, mais de la chanson…


6. En 1968, Alain Barrière va vous produire et va même trouver votre pseudonyme. Comment est né Corbier?

 

Alain Barrière me poussait à changer de nom. Un jour après que je lui eu raconté une blague, il me dit en riant : « Tu finiras pendu ». J’eu alors l’idée de prendre pour pseudonyme le nom du poète de la Ballade des Pendus : François Villon. Comme on me le fit remarquer : c’était déjà pris… Je sautais alors sur le véritable nom de Villon : François de Montcorbier. Comme c’était un peu long, j’ai raccourci : François Corbier.

En fait François m’allait bien. C’était déjà le prénom de mon père et mon second prénom d’état civil.


7. Avez-vous encore des contacts avec Alain Barrière?

 

Non je n’ai plus de contact avec lui. Je le regrette parfois. Il avait été très gentil avec moi et je lui dois de m’avoir produit mon premier 45t. Et même si je n’en ai pas vendu dix, il n’empêche que c’est grâce à lui que ce premier disque a été fait. Merci Alain.


8. Jusque là vous étiez encore chanteur, en 1970 vous devenez chansonnier. Que se passe-t-il?

 

Je vire doucement vers le chansonnier, d’une part parce que je me rends vite compte que je ne serai jamais Luis Mariano et d’autre part parce que les chansons que j’entends sur les antennes me crispent un peu. Je préfère les personnes qui me racontent des choses encrées dans notre époque. Les chansons réfléchies. Un peu philosophiques comme celles qu’écrivent Brassens, Ferré, Brel, Caussimon. Je me rends compte aussi que pour chanter des choses plus fines, mieux pensées, on n’exige pas du chanteur qu’il possède un organe à décoiffer les platanes. Ça me va bien. 


9. Quand avez-vous découvert que vous aviez un potentiel à faire rire les enfants?

 

Je ne m’en suis pas rendu compte. C’est Madame Joubert, la maman d’Antoine Decaunes qui, présente dans la salle du Caveau de la République, où je présentais un quart d’heure de chansons… cocasses… qui s’en est aperçue. Ce jour là il y avait des gamins dans la salle. Le public adulte riait de mes sottises et les enfants aussi. A l’issue de ma prestation elle me demanda si j’étais intéressé de présenter en compagnie de Dorothée une émission destinée à la jeunesse, sur Antenne 2 (France 2 aujourd’hui). Comme je n’avais rien à perdre, j’ai accepté, persuadé que cette histoire durerait à tout casser une saison. J’ai fait ça pendant 15 ans…


10. On vous retrouve alors dans des émissions TV « Récrée A2 » et plus tard « Le club Dorothée », quel regard portez-vous sur ces deux émissions?

 

Intellectuellement Récrée A2 était beaucoup mieux conçue. Les auteurs (Mouchard et Arrignon) soignaient nos dialogues. J’y faisais un travail de création beaucoup plus intelligent. En revanche, le public d’enfants s’est mieux retrouvé dans le Club Dorothée.

N’est-ce pas toujours le public qui doit avoir raison ?…


11. Aujourd’hui les émissions pour la jeunesse semblent moins importantes, vous le regrettez?

 

Je n’ai pas d’avis sur les émissions destinées à la jeunesse. Je n’en avais pas lorsque j’y travaillais, je ne m’autorise pas à en avoir un aujourd’hui alors que je ne suis pas du tout concerné. J’ai 63 ans et d’autres chats à fouetter que de regarder des émissions destinées à un public pré pubère. On voudra bien me le pardonner.


12. Il y a une vraie nostalgie sur cette époque, on le voit avec le succès des dessins animés de l’époque ou la vive émotion du retour de Dorothée chez Drucker. Comment expliquez-vous cette nostalgie sur ces années là? Est-ce que vous qui avez vécu ces périodes, vous pouvez comprendre le regain d’intérêt qu’on leur porte?

Très franchement je suis tout à fait incapable d’expliquer pourquoi des personnes de trente ans et plus se réfugient dans le rêve au lieu d’aller foutre le feu aux grandes surfaces qui leur vendent des produits cancérigènes. Je n’ai pas d’idée sur la question. Sans doute que notre époque est trop difficile, trop compliquée, trop féroce, et que le besoin de faire un retour dans l’enfance est nécessaire. Je ne sais pas. En revanche ce que je sais et qui me semble scandaleux, c’est de voir l’exploitation qui est faite par certains commerçants de cette nostalgie. Personnellement je ne me sens pas du tout nostalgique de cette époque qui n’était ni meilleure ni pire que les époques qui l’ont précédée ou qui l’ont suivi. A chaque période son lot de douleurs et de ravissements.

 

13. Sur le « Club Dorothée » vous travailliez combien d’heures par jour?

 

Souvent plus de douze heures, mais régulièrement dix. Cinq ou six jours chaque semaine et pour les tournages de vacances sept jours sur sept.


14. Est-ce que c’était facile alors pour une vie privée? Et/ou pour une vie professionnelle sur le côté?

 

Pour la vie privée, je n’avais pas de soucis. Mon épouse travaillait aussi. Nous nous

retrouvions le soir à la maison. Mon fils était encore un enfant et j’avais fait en sorte de lui épargner le contact avec ce métier. Je lui avais demandé de ne jamais en parler avec ses copains de classe. Il disait : « mon papa écrit. » et s’en tenait à ça. Voici deux ou trois ans, il retrouve un de ses copains d’école avec lequel il s’entendait bien. Il l’invite chez lui pour une autre soirée. Le type arrive et voyant sur le mur du salon un poster de moi et quelques photos, il dit alors à mon fils : « Tu connais CorBier ? »…


15. Vous avez rencontré différents artistes pendant les années où vous étiez avec Dorothée. Est-ce qu’il y en a qui vous ont marqué plus que d’autres?

 

Carlos était un personnage tout à fait particulier. Il était très nettement au dessus du lot. Drôle, cultivé, réservé, il savait parfaitement s’adapter à toutes les situations et ne manquait jamais de remercier ou de faire un compliment. Un type surprenant à bien des égards.


16. En 1996, vous quittez « Le club Dorothée », Pourquoi?

 

Ras le bol de recevoir des tartes à la crème et des seaux d’eau sur la tronche.
Je ne voyais pas d’évolution dans le boulot. Je m’y ennuyais. Un jour j’apprends qu’on m’a baissé mon salaire du quart de sa valeur sans avoir eu l’amabilité de m’en avertir. Comme la direction de TF1 me jugeait trop vieux pour être à l’antenne, et qu’elle m’avait déjà fait raser ma barbe… je me suis dit qu’il était temps pour moi de mettre les bouts. Ce que j’ai fait.


17. Vous revenez en 1997 pour les derniers mois de vie de l’émission. Est-ce Dorothée qui vous a demandé de revenir? Savait-elle alors que ses émissions allaient être terminées? Quelle était l’ambiance à ce moment là?

 

C’est Jean-Luc Azoulay qui a demandé à Jacky de m’appeler. Il savait que je m’entendais bien avec lui. Il n’a pas osé le faire lui-même. Je ne sais pas pourquoi. En tout cas je suis revenu le temps d’enregistrer les émissions d’été. J’ignore si Dorothée savait que les émissions allaient s’achever. Elle n’était sans doute pas sans ignorer que le contrat qui unissait AB à TF1 était arrivé à terme, mais savait-elle que le contrat ne serait pas reconduit ? Je l’ignore c’est à elle qu’il faut le demander.

Pendant le tournage des émissions d’été, l’ambiance était lamentable. Le producteur et le réalisateur se tiraient sans cesse la bourre et plus personne ne savait avec qui il pouvait parler… Je me souviens m’être fichu en rogne un jour à ce propos. Les maquilleuses, la costumière, l’ingénieur son, plus personne n’osait rigoler comme nous le faisions par le passé de peur de se faire engueuler par la prod ou le réalisateur. C’était une sale période.


18. Avez-vous participé à la toute dernière émission du « Club Dorothée »? Souvenez-vous de l’émotion qui régnait alors sur le plateau?

 

Je pense en effet avoir participé à la toute dernière émission que nous aurions aimé faire en direct, mais que la direction de TF1 nous a refusé… Nous avons tous tenu le coup, mais c’était douloureux. Je me souviens m’être mis à pleurer comme un veau. J’ai appris qu’à l’issus de cet enregistrement la maman de Dorothée nous a quittée et qu’elle fut mise en terre le jour de la diffusion de cette dernière. C’est dire la belle ambiance…


19. Après la fin des émissions, pensez-vous qu’on vous a fait « payer » le fait d’avoir fait partie de la bande à Dorothée?

 

Je pense qu’en effet certains journaux et certains programmateurs m’ont rangé dans un tiroir et se contentent encore aujourd’hui dix ans plus tard de garder la clé dans le pot sans savoir lequel. Je trouve cette attitude regrettable, mais c’est à moi que j’en veux. Je n’étais pas obligé de rester aussi longtemps à la télé. On récolte toujours ce qu’on a semé. Le public m’aime bien. Les « professionnels de la profession »… moins, mais c’est logique. Comment leur en vouloir ? Ce qui est dégueulasse, ce sont ces personnes qui refusent de parler de moi en prétendant que j’aurai contribué à abrutir des générations d’enfants. Ces personnes ne jugent pas mon travail d’auteur, certains d’entre eux d’ailleurs l’apprécient, mais au nom de je ne sais quelle règle je sais qu’ils me laisseront crever. Tant pis pour moi.


20. Il y a eu des moments difficiles pour chacun d’entre vous, vous n’avez jamais été découragé? Jamais eu envie d’arrêter le chant?

 

Non je n’ai jamais eu envie de quitter ce métier. Ou si cette idée m’a traversé l’esprit, je me suis vite rendu compte que je n’avais guère d’échappatoires… Je fais ce boulot depuis l’âge de 18 ans. Je n’ai fait que ça. Comment en 1997, lorsque les émissions s’arrêtent, je peux imaginer faire un autre job ? Je ne sais rien faire. Personne d’ailleurs ne veut de moi. Je suis en train de crever de faim, et lorsque je vais chercher du boulot, les patrons s’imaginent que je roule sur l’or. On me répond en roulant les yeux : « Voyons M. Corbier »… Pour le public je suis une sorte de star et pour le métier je suis une sorte de sous merde.

La roche Tarpéienne est proche du Capitole… Rien n’est facile, mais je ne suis pas du genre à baisser les bras.

 


21. Vous aviez joué la comédie avec « Pas de pitié pour les croissants », vous n’avez jamais eu envie de continuer dans cette voie? Jamais eu envie de faire autre chose et casser un peu votre image?

Bien sûr que si, mais on ne m’a rien proposé. En ce qui concerne l’idée de casser mon image, j’ai fait ce que j’ai pu pour. J’ai joué dans une pièce tirée du répertoire du Grand Guignol : Atroce Volupté. J’ai présenté quatre années de suite un spectacle de chansons adultes à Avignon. Je n’ai jamais eu de presse. Je veux dire la presse qui compte, celle qui fait qu’on vous invite ici et là pour parler de ce boulot. Chaque fois qu’on me contacte c’est encore et toujours pour me parler des années télé… Je ne vois pas bien comment en sortir sans l’aide de la presse…


22. Vous a-t-on déjà proposé un rôle récurrent à la TV?

 

Non. Je le ferai pourtant avec plaisir si ce n’est pas un rôle de pitre dans une série destinée à la jeunesse.


23. Vous auriez pu surfer sur la vague nostalgique du moment et profiter du retour de Dorothée à la TV. Pourquoi ne pas vous joindre à vos ex-collègues sur IDF1?

 

Je ne le ferai pas parce que j’ai d’autres ambitions. D’autres envies. D’autres besoins. Je ne peux pas passer mon existence à recevoir des tartes à la crème. Je ne crache pas dans le potage. Je ne regrette pas d’avoir participé à toutes ces émissions pendant toutes ces années. J’ai ai confortablement gagné ma vie. J’ai voyagé pratiquement partout dans le monde et dans d’excellentes conditions et en compagnie de gens aimables, mais je ne vois pas comment le bonhomme que je suis devenu, demi chauve, édenté, quasi miro, diabétique, souffrant des jambes, bedonnant et fatigué, pourrait avoir quelque chose à faire dans une émission destinée à la jeunesse telle que ces émissions sont conçues aujourd’hui. On ne voit pas de vieux à la télé. L’avez-vous remarqué ? (NDLR : Effectivement, on en voit pas présenter des émissions puisqu’on les vire comme ce fut le cas pour Charles Villeneuve ou Laurent Cabrol sur TF1).


24. Quels sont vos projets actuels?

 

Je fais comme Dylan un « No Ending Tour ». Je suis sans arrêt sur la route. Je suis allé chanter en Russie il y a quelques temps. La semaine dernière j’étais à Marseille, puis à Montpellier. Cette semaine j’étais à Roubaix. Jeudi je serai au Biplan à Lille, prochainement en Bretagne et en Suisse. Je vais régulièrement en Belgique et pas mal dans l’Est de la France. Il me reste quantité de villes où aller chanter mes chansonnettes et puis j’ai pour projet un nouvel album que j’espère enregistrer dans le courant de l’année.


25. C’est votre mot de la fin sur Influence, Corbier?

 

Ah ben non ! Mon dernier mot le voici : Au revoir et merci à vous.

CorBier le chanteur anthume et désucré.